Il suffit d'inscrire "liberté pédagogique" dans un moteur de recherche pour constater à quel point la notion est à la fois controversée et complexe. Et pourtant, celle-ci est indispensable. C'est à la lueur de l'actualité Journée Internationale pour la Liberté de l'Instruction que nous vous proposons d'y réfléchir.
"Sapere aude" : Ose penser par toi-même, une des attentes d'une instruction réussie.
Cette citation de Kant est fréquemment traduite par "Aie le courage de te servir de ton propre entendement !". Quant à Montaigne, il considérait qu'"éduquer, ce n'est pas remplir un vase, mais allumer un feu".
Ces deux grands penseurs se complètent : on ne peut se contenter d'apporter connaissances et compétences partielles. Pourquoi partielles ? Parce que reproduire strictement et uniquement des gestes et façons de procéder identiques ne permet ni d'innover ni d'exercer pleinement ce concept de "sapere aude". L'enfant a besoin d'exercer son intelligence, besoin de mettre en oeuvre toutes ses capacités de réflexion. Or pour exercer son intelligence, il est important de pouvoir sortir d'un cadre fixe et unique.
Dans un monde aussi changeant que le nôtre, il est d'ailleurs particulièrement important d'apprendre à rebondir et innover.
Si l'adulte accompagnateur lui-même ne peut sortir d'aucun cadre, qu'il est figé dans une façon unique de penser et de procéder, comment peut-il transmettre à la fois un exemple de réflexion personnelle et d'incitation à innover ?
La liberté pédagogique à l'école
Lorsqu'on souhaite devenir enseignant, il importe cependant de réfléchir à ce qu'est la réflexion personnelle car il existe une différence entre réfléchir par soi-même et présenter ses idées comme une référence absolue (c'est pourquoi par exemple ni les avis politiques, ni les avis religieux n'ont de place dans le cadre d'un enseignement commun). On se doit d'apprendre à afficher une certaine neutralité ("une certaine neutralité" car face à une situation de violence par exemple, on ne peut agir comme si celle-ci n'avait aucune importance).
Si vous avez déjà lu sur la liberté pédagogique scolaire ou eu la curiosité de chercher en quoi consiste la liberté scolaire, vous aurez vu qu'il est régulièrement question de possible "caprice" de l'enseignant et de liberté pédagogique de façade. La liberté pédagogique se situerait entre les deux.
Pourquoi "caprice" ? Parce qu'on estime que la liberté pédagogique d'un enseignant ne peut pas être basée sur des expérimentations "sauvages" sans aucune réflexion. Parce qu'on estime qu'une liberté pédagogique exercée doit être basée sur la connaissance, le sens des responsabilités, qu'elle doit être juste, applicable à tous et individualisée, qu'elle doit permettre autonomie et confiance et enfin qu'elle soit efficace.
Pour encadrer cette liberté aux attentes immenses, on a rédigé un cadre notamment fixé par l'article L912-1-1 du 24 avril 2005 : "La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection."
D'autres textes ont ensuite précisé la nécessité d'un contrôle efficacité-résultats. On pourrait penser que c'est une bonne chose d'encadrer autant la liberté pédagogique de l'enseignant afin d'éviter dérives et non respect de la responsabilité d'instruire de l'enseignant, mais trop de contrôles peuvent s'avérer de sérieux freins à l'innovation pédagogique. Et puis quels critères d'évaluation ? Parfois un chemin peut sembler plus long et au final plus efficace, ainsi l'apprentissage par coeur peut donner une illusion de réussite sans que la notion soit comprise et correctement assimilée alors qu'un chemin différent cherchant à mettre en oeuvre des ressources personnelles et une utilisation réfléchie peut être plus long.
Or un cadre restrictif aboutit à une liste de "bonnes pratiques" avec risque sérieux d'exploration pédagogique impossible et au final liberté pédagogique de façade où l'enseignant est en fait un exécutant sans possibilité de penser par lui-même. C'est pourquoi bien des professionnels expliquent avoir besoin d'une plus grande marge de manoeuvre et de s'appuyer sur leurs réflexions et sur la recherche.
La liberté pédagogique hors école traditionnelle : instruction en famille et écoles hors contrat
Or afin qu'il y ait recherche, il est nécessaire qu'il y ait expérimentations. Puisque ces expérimentations sont très difficiles à mettre en place à l'école, il est nécessaire qu'elles s'exercent ailleurs.
C'est ainsi que bien des pays, bien des chercheurs, bien des étudiants s'intéressent aux écoles dites parallèles et plus particulièrement aux familles sans école.
Pourtant les préjugés sont tenaces. Moi-même, il y a de cela 20 ans, je craignais des enfants laissés à eux-mêmes, des enfants "coupés de tout". Et puis, il y a un peu plus de 16 ans, l'instruction en famille s'est imposée dans nos vies en raison d'un système scolaire non adapté aux profils particuliers de nos enfants. C'est ainsi que j'ai découvert un univers des possibles inimaginable et comme bien d'autres familles, observer même les apports des neurosciences parce que je m'investissais pleinement dans mon rôle de maman accompagnatrice.
Dans le cadre de mes études d'enseignante, j'avais pu découvrir différentes pédagogies, mais tout cela restait très largement en surface et était en fait très très limité. Il existe tant d'approches différentes ! Un appétit insatiable d'explorer ces approches s'était alors emparé de moi tandis que je subissais certains a priori (tes filles ne verront pas assez de monde, il y a des sectes, elles n'apprendront aucune règle, etc.), a priori tempérés par ma formation d'enseignante (au moins on ne m'estimait pas a priori incapable).
Ce qu'on ne connait pas effraie. Certains messages relayés sur la toile et dans les médias contribuaient à la peur. Peu importait, l'expérience nous réussissait ! Et début 2020, enfin, les familles sans école bénéficiaient d'un regard plus positif à tel point que lors du confinement, un grand nombre des famille scolarisantes sont venues demander conseil aux familles sans école, familles qui ont largement ouvert leurs bras pour leur répondre. Ce fut le boom des déclarations d'instruction en famille. Hélas un nouveau voile devait se lever sur cette réalité alternative en octobre 2020 avec un nouveau doute "risque de familles radicalisées", doute pourtant contredit par les rapports officiels. Une véritable bombe pour les familles sans école qui a donné lieu à une loi restrictive et bien des refus incompréhensibles. La peur de l'inconnu est revenue.
Et pourtant, sans l'instruction en famille, jamais les alternatives pédagogiques d'Isa LISE n'auraient pu être imaginées, jamais ses filles n'auraient pu avoir leur bac à 16 et 17 ans tout en conservant leur bonheur d'apprendre, peut-être que jamais Agatha Christie (instruite par sa mère jusqu'à 16 ans) n'aurait été la romancière talentueuse qu'on connait, que jamais Thomas Edison n'aurait réalisé les inventions qui furent les siennes, probablement que Victor Hugo (unschooling durant ses années primaire) n'aurait pas été le génie littéraire qu'il fut ou que Taïg Khris n'aurait pas pu être un sportif de haut niveau.
Les alternatives pédagogiques sont absolument indispensables pour les enfants qui en bénéficient en instruction en famille, mais aussi pour tous les autres car elles peuvent leur permettre de tester partiellement à l'école ou à la maison et ouvrent la possibilité à la recherche d'observer et analyser afin de trouver de nouveaux moyens d'apprendre, d'expérimenter la liberté pédagogique pour enrichir la pratique pédagogique.
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